
8 février 2019
L’arrivée sur le marché du travail de le génération « Y » (née entre 1980-1999) et « Z » (dès 2000) a fait couler beaucoup d’encre. Si ces générations ont bien quelques caractéristiques spécifiques, leurs aspirations ne sont pas si différentes de celles de leurs ainés. En revanche, l’économie et la société connaissent de grands bouleversements qui impactent chacun de nous. Et si toutes les générations attendaient aujourd’hui un nouveau management ?
Pour dépasser les stéréotypes, nous sommes partis en quête d’éclairages complémentaires. Que mettent en avant les études menées sur les jeunes et leurs aspirations professionnelles? Et quelles conclusions peut-on en tirer en termes de management? Le « Baromètre de la jeunesse 2018 » de Credit Suisse nous donne quelques indications sur les aspirations des jeunes nés entre 1993 et 2000. Bien qu’en progression, le principe de partage n’est pour cette génération de loin pas (encore?) la norme. Ce qui distingue avant tout cette nouvelle génération récemment entrée sur le marché du travail, c’est un recul du sentiment d’appartenance (communauté, religion, etc.), et une plus grande aptitude à la collaboration. Sans surprise, ayant grandi avec des ordinateurs et des smartphones, ils sont aussi plus à l’aise pour apprendre à utiliser de nouveaux outils digitaux. Mais c’est à peu près là que les différences s’arrêtent par rapport aux générations précédentes.
Comme le confirme Bruce Pfau, ancien vice-président notamment en charge des ressources humaines chez KPMG, les objectifs professionnels n’ont que peu évolué d’une génération à l’autre (« What Do Millennials Really Want at Work? The Same Things the Rest of Us Do », Harvard Business Review, 2016). En effet, que les jeunes changent plus souvent d’entreprise est normal en début de carrière et, pour les générations plus anciennes, le degré de fidélité à un employeur s’est aussi érodé.
Les nouveaux enjeux du management sont ailleurs
Une autre réalité semble marquer de son empreinte une évolution profonde, mise en avant dans l’étude « The Future of Work : Switzerland’s Digial Opportunity » (McKinsey, octobre 2018) : plus d’un million d’emplois en Suisse devraient disparaitre dans les douze prochaines années, selon le scénario moyen présenté. Il existe un potentiel à peu près équivalent de réaffectation (ou d’évolution des métiers concernés) à des postes où l’intelligence artificielle et la robotisation n’entreront pas en concurrence avec l’humain. Si les PME suisses sont compétitives, la concurrence mondiale s’intensifie.
Le World Economic Forum suggère quant à lui que la productivité tend à stagner (lire « 4 reasons why your country should be more competitive, septembre 2017). Dans une société en pleine mutation, les attentes des clients s’adaptent rapidement. Ainsi, avec le raccourcissement des cycles économiques, les entreprises ont moins de temps pour évoluer. L’économie passe d’un modèle de production linéaire à un modèle de changements continus (agile). Ce changement de paradigme impacte fortement les processus au sein des entreprises, et le management en est un facteur clé de succès… ou d’échec. D’où l’importance d’en optimiser le potentiel humain, en y incluant toutes les générations.
Vers la fin de la bureaucratie ?
Les lignes hiérarchiques claires, les unités spécialisées et les processus standardisés permettent d’être efficace, voilà la philosophie longtemps défendue. Mais ce qui est vrai dans un environnement stable ne l’est pas dans un environnement changeant et très concurrentiel, où il faut être proactif, innovant et orienté vers un client dont les comportements évoluent vite (« The End of Bureaucracy », Hammel G. & Zanini M., Harvard Business Review, 2018). Il y a donc une rupture avec le modèle industriel (pilotage : temps / productivité pour une qualité désirée), pour passer à un modèle de changements continus, avec des cycles plus ou moins courts (pilotage : valeur actualisée nette / optimisation de la trésorerie). Au niveau du management, cela change complètement l’approche, et il semble qu’il y a une réelle attente de toutes les générations pour aller dans ce sens (voir encadré).
On ne change pas de management sans changer de culture
Les principaux freins au changement sont la peur d’être jugé, de l’échec, d’être exclu, ou la perte de statut et d’acquis. Pour Andrea Onori – CEO de Privilèges Genève, qui travaille sur la formation de l’attitude positive – lorsqu’il y a perte de confort, un climat de confiance basé sur d’autres valeurs que les acquis et la sécurité doit être crée, comme le droit à l’erreur ou la confiance au sein de l’équipe. Des compétences de gestion spécifiques sont aussi nécessaires et le management s’expose s’il n’est pas formé à travailler différemment. Agitation, versatilité, démotivation et anxiété généralisée sont les principaux risques organiques sans une vision et une stratégie clairement communiquées par le mangement.
Au niveau opérationnel, c’est la désorganisation, le manque de cohérence entre les projets, la complexification des processus, les redondances et les conflits interpersonnels qui risquent d’apparaître rapidement sans un cadre clairement défini (valeurs, rôles, coordination, allocation des ressources, mesures des résultats, etc.) et sans une communication structurée. Dans une économie digitalisée, si la productivité dépend du niveau de technologie, la compétitivité vient de la capacité à extraire la valeur humaine. Les nouveaux défis du management sont donc la gestion des connaissances individuelles et partagées (intelligence collective), de la coopération (processus et communication), de l’allocation des ressources, et de la motivation. Au niveau des incentives, les attentes des collaborateurs se sont diversifiées. Les entreprises ne peuvent plus compter sur une fidélité affective des collaborateurs, ni sur une politique incitative égalitaire monolithique; elles doivent composer avec des politiques à la carte, équitables et transparentes.
Le management : une affaire qui dépasse les générations
Si la génération Y est venue avec de nouvelles attentes, ce n’est pas qu’elles étaient propres à cette génération, mais plutôt à une époque, tout le monde a donc suivi. Et si nous écoutions les milléniaux (nés après 2000), que diraient-ils? Les premiers commencent à entrer sur le marché du travail, et leurs aspirations d’aujourd’hui seront probablement la future norme. Une piste intéressante à creuser, pour ceux qui tentent de projeter le monde de demain.